Asie du Sud-Est : l’autre cimetière maritime
Depuis le début de l’année, le HCR estime que 25.000 migrants clandestins ont déjà pris la mer via des passeurs pour fuir le Bangladesh et la Birmanie. Le 20 mai dernier, la Malaisie et l’Indonésie ont annoncé un changement radical de leurs politiques migratoires : plus de « remorquage » ni de « refoulement » des bateaux mais un accueil immédiat et temporaire pour les réfugiés. La situation catastrophique trouvera-t-elle une issue responsable ?
Un afflux massif dans un contexte difficile
Les migrants clandestins qui descendent vers la Thaïlande et l’Indonésie fuient la pauvreté et la discrimination. Certains proviennent du Bangladesh et quittent l’un pays les plus pauvres du monde. Les migrants birmans eux, appartiennent à la minorité musulmane des Rohingyas, discriminée par la forte majorité bouddhiste. Plusieurs facteurs rendent les traversées difficiles. Tout d’abord, les passeurs parcourent plus de 1.000km avant de les déposer généralement sur les côtes thaïlandaises. Mais sur terre, comme sur mer, les migrants doivent affronter des passeurs qui peuvent se transformer en trafiquants rançonneurs ou esclavagistes. La piraterie est aussi connue pour régner dans ces eaux. Dans l’optique d’atteindre des pays musulmans, le transit par la Thaïlande bouddhiste est l’occasion de multiples sévices. Enfin, lorsque les embarcations sont réapprovisionnées par les gardes-côtes, le partage des vivres génèrent des violences voire de meurtres.
Loin de l’ambiguïté européenne, une fermeté assumée
Face à ces afflux, les pays de la région se sont murés dans une approche ultra sécuritaire. Chaque pays se rejette la responsabilité de ces clandestins. Cette attitude protectionniste se traduit par le réapprovisionnement en vivres les bateaux, avant de les escorter hors des eaux territoriales. La politique migratoire la plus surprenante provient du gouvernement conservateur australien. Seul pays développé dans la région, Tony Abott a lancé dès 2013 l’opération « Frontières souveraines ». Le principe est simple : les embarcations de migrants sont rejetées hors des eaux nationales, et ceux qui auraient eu la chance de débarquer sont renvoyés dans des camps de rétention situés à l’étranger, notamment en Thaïlande. Or, l’Australie est signataire de la Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés de 1951. En se permettant une politique migratoire aussi dure sans soulever l’émoi de la communauté internationale, les pays voisins n’ont plus eu de remords à en faire de-même.
Une situation bloquée par la multiplicité des tensions entre les pays de la région
Derrière les déclarations de la Thaïlande, de la Malaisie, de l’Indonésie, de l’Australie ou même de Singapour, se trouvent donc des positions très tranchées sur le sort des migrants. Pour chacun, les migrants clandestins ne les concernent pas puisqu’ils souhaitent aller chez leurs voisins. Au départ de cette situation, la Birmanie ne souhaite pas reconnaître les Rohingyas qu’elle juge comme des immigrés illégaux du Bangladesh. Elle considère cela comme une affaire interne et rejette toute ingérence extérieure. Le rôle du voisin thaïlandais est ambigüe. Il est parfois complice de ces trafics en laissant les passeurs et leurs migrants traverser la jungle pour rejoindre la Malaisie, trop souvent au péril de leur vie.
La résolution du problème doit se traiter en amont. Or, si la Birmanie a annoncé pouvoir fournir une aide humanitaire, il y a fort à parier que le sort des 1.3 millions de Rohingyas ne changera pas au sein de la société birmane. En aval, la Thaïlande refuse de participer au sauvetage des migrants. Il faut garder à l’esprit que la Birmanie comme la Thaïlande sont des pays très majoritairement bouddhistes qui voient les minorités musulmanes comme une menace pour leur identité. Le petit pays qu’est Singapour déclare pour sa part, qu’il ne peut pas se permettre de loger des réfugiés. Enfin, l’Australie ne devrait pas changer sa politique migratoire qu’il exerce avec fierté en la recommandant à l’Europe. Une modification signifierait une coopération, notamment avec l’Indonésie. Or les deux Etats sont en brouille diplomatique après l’exécution de 5 ressortissants australiens par la justice indonésienne. Les 2 seuls acteurs redevenus coopératifs sont donc la Malaisie et l’Indonésie. Cependant, il y a fort à parier que le 29 mai prochain à la conférence régionale, les deux pays refusent de répondre seuls au défi de cet afflux massif de clandestins. La situation paraît donc dans une impasse durable tant que la Birmanie n’acceptera pas d’en faire une question régionale nécessitant des réformes internes.